LA VENUE DE L’AVENIR
- Émilie REDONDO
- 11 juin
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 24 juin
Année de sortie : 2025
Durée : 2h06
Genre : Comédie, historique, drame
Réalisé par : Cédric KLAPISCH
Casting : Suzanne LINDON, Abraham WAPLER, Julia PIATON, Vincent MACAIGNE, Zinédine SOUALEM, Paul KIRCHER, Vassili SCHNEIDER, Sara GIRAUDEAU, Cécile DE France, François BERLÉAND, Claire POMMET, Vincent PEREZ, Fred TESTOT, Olivier GOURMET
Synopsis : Aujourd’hui, en 2025, une trentaine de personnes issues d’une même famille apprennent qu’ils vont recevoir en héritage une maison abandonnée depuis des années. Quatre de ces lointains "cousins", Seb, Abdel, Céline et Guy, sont alors chargés par le groupe d’en faire l'état des lieux. Ils vont ainsi y découvrir des trésors cachés, qui vont les mener sur les traces de leur aïeule, la mystérieuse Adèle. Celle-ci a quitté sa Normandie natale à 20 ans, pour se rendre à Paris en 1895, au moment où la Capitale est en pleine révolution industrielle et culturelle.
Bref : Présenté hors compétition lors du dernier festival de Cannes, le nouveau film de Cédric KLAPISCH est beau, bien fait, et laisse une impression de "feel good", tout en offrant des pistes de réflexion sur les tourbillons de la vie ! Une réussite !
Encore (En corps) une fois, Cédric KLAPISCH immerge le spectateur dans sa vision singulière de la vie, poursuivant ainsi sur sa lancée philosophique, avec cette plongée entre le Paris du XIXᵉ siècle et le monde moderne. Il nous projette dans une vaste introspection généalogique, nous interroge sur l’évolution du monde (tant technologique que civilisationnelle), au gré d'une profonde réflexion sur notre époque actuelle.
Avec ce parallèle, le réalisateur joue à l'équilibriste, confrontant deux époques, sans pour autant les opposer ou les juger l'une à l'aune de l'autre, entre lesquelles on alterne avec nostalgie. D'un côté, la Belle Époque, le Paris flamboyant de la fin du XIXᵉ siècle, où s'inventaient la photographie, le cinématographe et où naissait l’impressionnisme, trois formes de représentation de l'Homme et de son environnement, qui tendaient à rapprocher les gens. De l'autre, l'époque moderne, où des êtres ignorent leurs liens familiaux, chacun happé par une technologie qui isole au lieu de rapprocher, et qui a vu exploser le narcissisme des selfies et des réseaux sociaux, créant des fractures morales et sociales, dont la critique est à peine subtile.
Ce funambulisme a d'ailleurs été source de défis pour le cinéaste, car rendre compte de la Belle Époque a nécessité un énorme travail sur les décors (naturels et réalistes), les accessoires (ex : les calèches à impériales), les costumes (magnifiques), les nombreux figurants et les prises de vues.
C'est d'ailleurs l'un des points forts du film : la minutie des cadrages, des compositions d'images, et surtout des couleurs (grâce à son chef opérateur Alexis KAVYRCHINE), qui renvoient à une double mise en abîme, rappelant le soin apporté aux compositions des premiers films du cinématographe, eux-mêmes très largement inspirés des compositions des grands courants picturaux, dont l'impressionnisme, faisant ainsi la part belle aux grands noms de l'époque (Les frères LUMIÈRE, MONET, ZOLA, HUGO, NADAR, MARVILLE, ATGET, …)
Habitué aux films choraux, le réalisateur ne fait pas exception avec cet opus. Toujours en conservant l'idée de ne pas opposer les époques, fil rouge de son scénario, mais au contraire en montrer la complémentarité, il a pris le parti (et le contrepied de ce qui pouvait être attendu) d'installer la jeune génération d'acteurs dans la Belle Époque et la "vieille garde", comme certains de ses acteurs fétiches, dans l'époque moderne.
Chaque "équipe" sert fidèlement le scénario. De mises en abîme ou en parallèle, en resserrant ou en agrandissant la focale, chaque époque renvoie à l'autre, l'ensemble de la distribution offrant des performances justes dans l'émotion (époustouflante Sara GIRAUDEAU), avec quelques apparitions spéciales disséminées au gré des scènes d'époque. Il reste à espérer que Suzanne LINDON, qui "porte" la Belle Époque sur ses jeunes épaules, et dont le jeu un peu vert lui laisse néanmoins une grosse marge de progression, développe son jeu d'actrice (palette d'émotions) et évite l'écueil de la mono-expressivité.
Cédric KLAPISCH a joué les acrobates jusque dans sa bande originale (créée par le compositeur ROB) ni vraiment classique, ni tout à fait électro, aussi mystérieuse qu'un tableau impressionniste, avec une mention plus que spéciale à POMME, qui signe une magnifique chanson titre du film : La nuit. On reste jusqu'à la moitié du générique pour en savourer chaque note et chaque fêlure dans la voix de l'interprète.
Cette dualité parsème la toile de fond de ce film. Ce n'est rien, cependant, comparé au fil rouge de cette introspection collective dans un passé familial ignoré ou oublié, qui aujourd'hui rassemble les héritiers de cette jeune femme voyageant de Normandie vers la Capitale, pour elle-même retrouver ses propres racines (dans une autre mise en abîme), en particulier sa mère et son père.
Chacun des quatre (Julia PIATON, Zinédine SOUALEM, Vincent MACAIGNE et Abraham WAPLER) choisis pour se charger d'inspecter la maison et son contenu, va entrer dans une sorte de parcours initiatique les mettant face à la réalité de leur propre existence présente et à La venue de l'avenir qui s'offre à eux, qui pourra s'illuminer comme l'avenue de l'Opéra (la première avenue éclairée à l'électricité de Paris).
Jusque dans ses dialogues, le cinéaste pose ces questions philosophiques, comme la remarque du paysan de 1895, qui transporte la jeune Adèle dans sa carriole, et qui affirme que "les jeunes ici, c'est plus comme avant", car ils veulent toujours aller plus vite, sans pour autant savoir où ils vont et sans prendre le temps de vivre.
Une introspection qui se fait à la fois seul et collectivement dans le film, qui transcende le film, et qui aboutit au même constat : il faut parfois regarder en arrière pour pouvoir se trouver et avancer.
Au final : Visuellement et techniquement impeccable, ce film propose une lecture comparée de deux époques qui renvoient inévitablement le spectateur à l'émotion de sa propre histoire. Ce film est un excellent point de départ thérapeutique et philosophique pour une réflexion sur le passé, le présent et l'avenir. Intelligent, car sans jugement. Remarquable !



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