LA CHAMBRE D'À CÔTÉ
- Émilie REDONDO
- 18 févr.
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 19 févr.
Année de sortie : 2025
Durée : 1h47
Genre : Drame, comédie
Réalisé par : Pedro ALMODÓVAR
Casting : Julianne MOORE, Tilda SWINTON, John TURTURRO
Synopsis : Ingrid et Martha, amies depuis longtemps, se retrouvent après s'être perdues de vue. À l'occasion d'une dédicace, la romancière Ingrid apprend que sa vieille amie est malade. Au fil de ses visites, Ingrid va comprendre que Martha, la courageuse ancienne reporter de guerre, a l'intention de décider elle-même de sa fin. Martha aura alors une requête troublante à faire à Ingrid.
Bref : un vrai chef-d'œuvre. Sûrement le plus pédagogique et revendicateur des films de Pedro ALMODÓVAR, il est tout simplement à ne pas rater !
Avec une filmographie à faire pâlir tous les apprentis réalisateurs et même les réalisateurs confirmés, Pedro ALMODÓVAR est devenu l'un des piliers les plus respectés du cinéma mondial, notamment grâce à son habilité à traiter des thèmes sociaux universels.
Le réalisateur aime tout particulièrement les femmes et les mettre en scène, que ce soit, entre autres, avec Femmes au bord de la crise de nerf (1989), Talons aiguilles (1991), Tout sur ma mère (1999), Parle avec elle (2002), Volver (2005), Étreintes brisées (2009), ou encore Madres paralelas (2021).
La chambre d'à côté ne fait pas exception, bien que celle-ci se situe ailleurs. Habitué à tourner avec ses actrices et acteurs fétiches (Pénélope CRUZ, Chus LAMPREAVE, Antonio BANDERAS, etc.) dans la langue et les décors de son Espagne natale, Pedro ALMODÓVAR sort ici quelque peu de sa zone de confort.
Son dernier opus se déroule aux États-Unis, ses deux actrices principales sont américaines et le tournage s'est fait en anglais. Pour déroger ainsi à ses usages, il lui fallait une histoire importante, qui soit à la hauteur de ses exigences, comme l'est celle du roman Quel est donc ton tourment ? de Sigrid NUNEZ, qu'il adapte ici.
Et quelle histoire ! La fin de vie est le sujet social actuel et brûlant par excellence, source de débat, de réticence et de combats de tous bords. Comment, pourquoi, quel droit l'Homme d'aujourd'hui, et en l'occurrence la femme, a-t-il de mourir dans la dignité, en évitant des souffrances indicibles ? Telle est LA question du film.
Ce dernier en aborde d'ailleurs tous les angles, tant pratique (où? Quand ? Comment) qu'émotionnel (pourquoi ?). Il représente aussi tous les points de vue : celui de la mourante, celui de sa famille (sa fille), celui de ses relations (ses amies), celui de ceux qui l'accompagnent dans sa démarche ou de ceux qui refusent, celui des autorités (tant judiciaires que médicales), etc. Il pose clairement et simplement ces questionnements.
C'est là tout le génie du réalisateur : de parvenir à traiter un tel thème, et en faire un film en forme de master class, tant technique que scénaristique. Sa mise en scène se rapproche du huis-clos, faisant reposer toute l'intrigue sur les deux actrices. Un casting savamment choisi, tant l'alchimie des jeux de Julianne MOORE et de Tilda SWINTON crève l'écran.
Lui qui a toujours su filmer les vraies femmes, en les sublimant tant dans leurs forces (physique, mentale, vitale) que dans leurs vulnérabilités (peurs, angoisses, doutes), le réalisateur créé des images fortes avec des plans serrés qui, sans cacher aucune ride, capture la moindre émotion, grâce à une interprétation magistrale de ses muses, tout en réserve et pudeur, ce qui empêche le film de tomber dans le mélodrame sentimental. Même la bande originale, faites d'harmonies légères, reste discrète.
Maître de la technique du champ-contrechamp, Pedro ALMODÓVAR atteint la perfection avec les différentes scènes où Martha raconte des épisodes de sa vie dans de longues tirades (maestria absolue de Tilda SWINTON) qui prennent leurs échos et leurs profondeurs dans le regard de son amie Ingrid (grande intensité de Julianne MOORE), au sein d'une image alliant à la fois un esthétisme moderne et rétro (années 1960 ou 1970), cher au réalisateur.
Ce parti pris technique donne au spectateur l'impression d'un film confession, comme si la mourante laissait derrière elle une forme de testament vidéo. Elle se raconte à son amie, perdue de vue depuis des décennies, mais aussi au réalisateur (donc au spectateur), non pas pour se justifier, juste pour expliquer.
En limitant les mouvements de caméra et en simplifiant les raccords, ce dernier joue sur un paradoxe entre ce temps suspendu, existant entre les deux amies, et le temps réel qui passe, terrible et inéluctable pour l'une d'elles. Paradoxe qui oppose aussi la maladie, le combat, les contraintes, la souffrance, l'impuissance au contrôle, à la possibilité de décider, mais surtout à l'espoir de la délivrance.
Paradoxe où s'entremêlent encore d'autres thèmes aussi cruciaux que le changement climatique, par des effets de superposition, entre le cadre choisi par Martha pour en finir (une maison au cœur d'une forêt verdoyante) et les craintes de leur ami Damian (John TURTURRO) pour l'avenir de ses petits-enfants.
Véritable plaidoyer, ce film contient à lui seul la quintessence de cette question brûlante : est-ce si difficile d'accorder à un être humain une fin de vie digne ? Même si la position du réalisateur ne fait aucun doute, le film ne se veut pas culpabilisateur, laissant chacun face à son opinion et à ses croyances, autant qu'à la responsabilité de ses choix.
Au final : Ce film recèle le combo parfait : un chef-d'œuvre qui est aussi une masterclass pour tous les réalisateurs et passionnés du 7ᵉ Art. Un plaidoyer pédagogique qui, sans porter un quelconque jugement, pose un questionnement simple et présente les différents points de vue. Une œuvre nécessaire, surtout par les temps qui courent ! À ne vraiment pas rater !



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